Au retour du congé des Fêtes, j’ai eu le plaisir de m’entretenir avec Raïs Kibonge, conseiller municipal à la Ville de Sherbrooke, district du Lac-des-Nations, et maire suppléant.
Son parcours et son implication en politique municipale
La famille de Raïs Kibonge est originaire de la République démocratique du Congo. Elle a dû fuir en raison de la guerre suite aux malheureux événements survenus au Rwanda voisin. Pour lui, la vie dans son pays se divise en deux, soit sa vie avant la guerre, avant ses 12 ans, et sa vie après. Il débarque à Montréal en 2005 et part ensuite pour l’Alberta qui offre de bonnes opportunités d’emploi. Il est accompagné de ses trois sœurs, son frère et sa mère, arrivée plus tôt comme réfugiée. Il s’établit à Sherbrooke en 2008 pour étudier, travailler et y faire sa vie.
Il a été témoin d’événements traumatisants et a vu beaucoup de souffrances avant son arrivée au Canada. C’est ce qui l’a amené à s’engager comme bénévole dans plusieurs mouvements. Après ses études, il obtient un diplôme de deuxième cycle en science politique de l’Université de Sherbrooke. Il décide alors de s’impliquer en politique municipale, motivé par la proximité avec les citoyens et citoyennes qu’elle permet.
« Ça m’a toujours intéressé la mobilisation, ce qui va toucher l’organisation des gens, des groupes, des mouvements humains. C’est là que j’ai découvert la politique municipale.»
Être le premier élu noir à Sherbrooke démontre selon lui que la population est prête à s’ouvrir à la différence. Pour Raïs, c’est à la fois un honneur et une grosse responsabilité d’être le premier d’une certaine catégorie sociale dans un domaine, que ce soit la première femme ou le premier Noir. Cela exige d’être suffisamment exemplaire pour donner le goût à d’autres personnes dans la même situation de s’engager. Cela vient avec tout un bagage, mais donne aussi un signe d’espoir.
Le Mois de l’histoire des Noirs
Raïs dit avoir dû apprivoiser cet événement. Après avoir lu et s’être informé, il en est venu à la conclusion qu’un tel événement donnait la possibilité de faire valoir non seulement la contribution des Noir·e·s, mais aussi de tous les différents groupes de migrant·e·s qui ont bâti l’Amérique du Nord, contribution qui est trop souvent ignorée.
« Le Mois de l’histoire des Noirs permet de s’ouvrir au passé, donc d’apprendre l’histoire de toutes les différentes générations d’afro-descendants qui ont fait une différence en bâtissant des choses, mais aussi de s’ouvrir au présent et de mieux comprendre les différentes cultures qui viennent d’Afrique, des Caraïbes et que souvent on a tendance à mettre toutes dans le même panier. »
Le racisme
Pour lui, le racisme est une forme de déshumanisation. Quand on commence à nommer Pierre, Jean, Jeannette, on ne dit plus les Noir·e·s. On parle plutôt de la contribution de chaque personne. Cela permet de voir que ce sont des êtres humains qui ont des sentiments, des rêves, des problèmes, des peines, des joies aussi. Cela humanise l’autre. Pour combattre le racisme, il faut travailler sur le front institutionnel afin de mettre en place les conditions idéales pour que tout se passe bien. Il importe aussi de construire des ponts, c’est-à-dire créer des lieux ou des événements où les gens peuvent se côtoyer et échanger. S’il n’y a pas de ponts, les gens ne traversent pas et ne se rejoignent pas. On peut penser que s’il y a un premier élu noir, un premier policier noir ou autre, tout est réglé. Pour Raïs Kibonge, « c’est bien souvent seulement le début du commencement ».
Pour lui, l’éducation et la communication sont les deux principales clés pour lutter contre le racisme. La première étape pour faire changer les choses, c’est de s’asseoir autour de la table et d’apporter sa contribution. Il constate qu’il y a beaucoup d’ouverture à la Ville de Sherbrooke et dans la population sherbrookoise, mais il apporte aussi de nouvelles perspectives qui n’étaient pas présentes ou qui n’étaient pas prises en compte.
« Ce qui manque souvent, c’est la perspective de l’autre, la perspective des femmes, la perspective des personnes issues de la communauté LGBTQ, la perspective de la communauté noire et des différentes communautés qui sont capables d’expliquer pourquoi culturellement ou pourquoi historiquement certains sujets sont plus sensibles que d’autres. »
Une fois qu’on tient compte de ces différentes perspectives, cela permet de comprendre pourquoi on met en place des actions positives. (Au Québec, on appelle de telles actions de la discrimination positive ce qui, selon Raïs, est un terme à connotation plutôt négative.) On ne se dit plus qu’on accorde un passe-droit à une personne à cause de son origine, statut social, sexe ou autre caractéristique, mais parce qu’on trouve qu’elle apporte quelque chose de différent. Le regard des gens change et cela aide à faire avancer les choses.
Ce qui le rend heureux… et son plus grand souhait pour l’avenir
Il aime se sentir utile, améliorer les choses, découvrir. Ce sont les petites choses de la vie qui le rendent heureux, les relations familiales, que ce soit sa conjointe, l’éducation de son fils, sa famille qui est loin, un bon repas partagé avec des ami·e·s, les relations en fait. Aussi sentir que même s’il ne change pas le monde, il améliore la vie des gens. Quand c’est difficile au travail et que ça va bien à la maison, ou vice-versa, un certain équilibre est créé. La vie est une mosaïque de plusieurs moments, plusieurs événements. En essayant de faire ressortir les bons côtés au détriment des mauvais, on peut en tirer une grande satisfaction.
« [Pour l’avenir] peut-être un peu plus de communication et d’empathie. […]. Prendre le temps de communiquer, souvent ça fait une différence. »
Il encourage les gens à entrer en relation avec leur entourage, à se mobiliser. Pour lui, se mobiliser, ça peut seulement vouloir dire organiser une fête de quartier ou un souper communautaire, voir au-delà de soi. S’il y a une chose que la pandémie nous a apprise, c’est bien l’importance de ces moments partagés, de se rebâtir, de retisser des liens. On en parle beaucoup, mais on le fait trop peu. Sa suggestion serait que les gens aient le courage de faire le premier pas et de dire simplement bonjour aux voisin·e·s. Ou d’appeler un ami à qui on n’a pas parlé depuis un certain temps, même si c’est seulement pour lui laisser le message qu’on pense à lui et qu’on espère que tout va bien.