Un monde vide, purgé par les problèmes des hommes, ceux qui n’aiment que leur image, eux-mêmes, et des petites pièces rondes qu’on peut tenir dans la paume d’une main.
Plus on en possède, plus nous sommes aimés. Aujourd’hui, l’homme fait tout pour l’argent, mais l’argent fait aussi tout pour l’homme. Tuer la nature pour posséder, encore et toujours plus. Sans argent, le monde serait libre. Libre d’aimer, de voyager, de sauver le monde. La peste s’étale sur la terre. L’extinction approche…
Six se réveilla en sursaut, comme à chaque matin. Sa nuque pinçait et elle pouvait sentir avec sa main qu’elle était enflée. Des bruits mécaniques, ressemblant à des rouages qui se mettent en marche, et de la vapeur qui s’immisce par la tuyauterie l’avaient tirée, par la main, hors de son sommeil. Les lumières étaient allumées depuis déjà quelques minutes. Le réveil restait toujours exigeant, même avec l’habitude.
Elle se trouve dans la seule pièce qu’elle a toujours connue, d’au moins vingt-deux mètres de long et treize mètres de large, avec de la céramique blanche couvrant le sol et les murs. La routine comme toujours.
Six est la première réveillée, les autres se réveillent doucement. Une fois tout le monde réveillé, la tuyauterie se rendort, les rouages se calment pour laisser une trappe au plafond, positionnée au centre de la pièce, s’ouvrir.
Un plateau en métal relié à quatre chaînes en descend, apportant exactement dix bols d’une substance visqueuse, froide et sèche comme la céramique. L’odeur du repas, qui les laisse indifférents, emplit la pièce.
Six n’a jamais aimé le bruit de la trappe, elle reconnaît chaque fois l’endroit précis de son grincement. Chaque coin de la pièce est déjà cartographié, ce n’est pas trop difficile : il n’y a que ça à faire, ici-bas. Ils n’ont pas le choix. Les autres, tout comme elle, la suivent doucement vers la plateforme. Étant toujours sur ses gardes, Four se demande intérieurement « Mais qu’est-ce que c’est? C’est bizarre… Ce n’est pas comme d’habitude… ».
Tous ceux qui se trouvaient dans cette salle étaient habillés de la même façon : une blouse blanche avec un numéro qui remplace sûrement un nom. Il y avait des livres dans un coin de la pièce et, sans savoir pourquoi ni comment, ils ont appris à les lire et à les comprendre. Dans leurs crânes, ils avaient l’équivalent du savoir d’un enfant de quatre ans, même si certains étaient plus âgés que les autres. Four jouait avec la substance gluante du bol sans savoir ce que c’était. Elle jugea qu’il n’y avait aucun danger à en manger. Les douze enfants et adolescents mangèrent – en silence. À son tour, Six se rendit dans un des quatre coins de la pièce et mangea. Même si elle détestait le goût, elle n’avait pas le choix.
Si elle ne mangeait pas, d’autres allaient prendre son bol. Il n’y avait que dix bols. Dix repas, pour douze individus.