Mon grand-père Henri Piché, fils de Basile et de Célanire Villeneuve, était un homme de peu de mots. Il n’avait pas dû fréquenter l’école bien longtemps. C’était un manuel, mais pas un ignorant. Il avait un humour subtil, du respect envers les femmes, qu’il aimait bien, et ne manquait jamais un numéro de L’action catholique qu’il appelait sa« gazette », et qu’il lisait tout en soig t son « rhumatime » et en chassant les « frémilles ». Était-ce ce journal, La Patrie ou Le Petit Journal qui finissaient en petits carrés dans sa boîte à « papier toilette »? Je ne saurais dire. Mais on y trouvait parfois des bouts de bandes dessinées en couleurs, alors…
Il a dû faire cent métiers : charpentier, menuisier, tailleur de pierre, bûcheron quand le pain venait à manquer. D’ailleurs, il signait toujours son pain d’une croix avec son vieux couteau avant de le découper.
D’aussi loin que je me souvienne, il cultivait ses légumes et cueillait, des jours durant, tout ce que la nature pouvait offrir. Des petits fruits dont il faisait des conserves. C’était un fils de la terre.
Je l’ai vu un jour déguster les œufs frais d’une truite qu’il avait pêchée. Fils de l’eau?
Il avait une « canneuse », ce qui m’impressionnait beaucoup et faisait mon délice au jour de l’An. Je redemandais toujours de ses fameuses framboises « cannées ». Je devais insister un peu. Je comprends maintenant la valeur inestimable de ce produit. Il y avait aussi les cornichons sucrés de mon oncle Jacques, que j’adorais (les cornichons, pas l’oncle). Mais ça, c’est une autre histoire.
Grand-père était âgé quand je l’ai connu. Quand je suis né, il était déjà plus vieux que je le suis aujourd’hui. Mais il a vécu longtemps.
Il avait souvent, dans la poche de son vieux veston, des arachides espagnoles dont il me gratifiait. Il y avait aussi un grand prêtre qui faisait ça. L’abbé Potvin, ami de mon père. J’ose croire que ses intentions étaient bienveillantes…
Grand-papa m’a aussi enseigné à pêcher la truite et la barbotte, et à fabriquer un sifflet dans une branche d’aulne. Mais de tous les enseignements de mon grand-père, et ce qui me rappelle à lui aujourd’hui, ce sont les faînes. Ces petits fruits d’un arbre de nos régions, noix minuscules, bi-tétraédriques, issues du hêtre. Vous savez, ce grand arbre à la peau lisse comme du cuir? En cette saison, on peut en ramasser des poignées, mais il faut des doigts de fée pour les décortiquer et parfois, elles sont vides. Sinon, avec beaucoup de patience, elles pourront remplacer les pignons dans vos prochaines recettes.
Oh!, en passant, j’ai hérité de quelques vieux outils lui ayant appartenu. Je m’en sers souvent et les respecte énormément. Parce que s’il y avait une chose défendue chez lui, c’était bien de toucher à ses outils, sous peine de sévère réprimande. Et je le comprends bien aujourd’hui : ses outils, ça avait été son gagne-pain, et presque toute sa vie.
Merci Papy Henri pour ta bienveillance. Tu survis en chacun et chacune de nous.