Une fois, l’une des nôtres dans le couvent voulait partir. Pas pour s’échapper comme une prisonnière ou fuir une destinée scellée. Elle voulait quitter un monde qu’elle n’avait pas choisi. Elle s’appelait Elara, elle était proche du même âge que toi, Margareth; jeune, intelligente et naïve à ce qui l’entourait. Elle était fascinée par les étoiles et la logique des astres. Elle aussi, a découvert notre groupe et le sabbat que nous faisons chaque pleine lune. Elle nous a rejoints en demandant et en respectant notre règle du silence. Nous lui avons appris beaucoup de choses, en ressentant ses pensées, nous savons qu’elle n’était pas déceptive pour le domaine du Clergé.
Nous ne savons pas ce qui s’est passé dans sa vie. Notre empathie pour les autres, les arbres et les animaux de même, ne nous permet pas de lire les pensées comme dans un livre ouvert. Elara était une fille troublée; elle était quelqu’un à qui on parlait toujours. Il ne serait pas surprenant que personne n’ait jamais pris la peine d’écouter ce qu’elle avait à dire. C’est ce que personne n’a fait dans notre groupe, cela inclut moi en tant que Matriarche. Je n’arrive pas à imaginer la douleur que vivent ses parents. C’est de ma faute et j’en prends la responsabilité.
Notre magie n’est pas de la sorcellerie comme le décrivent les prêtres. Les femmes autochtones et leur maîtrise de l’herboristerie n’étaient pas de la sorcellerie. Nos pouvoirs proviennent d’une source d’énergie, celle du sang sacré écrit dans le grimoire. En dansant dans le cercle de la vie, nous générons l’énergie nécessaire à la réalisation du sort. Tout comme le charbon, nous sommes l’énergie, et nous sommes la locomotive pour que le reste du train avance. Notre magie est une science, rien de plus.
Elara était une âme désespérée, elle voulait quitter ce monde. Elle pensait pouvoir s’envoler en dehors du monde. Elle a ramassé de nombreuses plumes d’oiseaux et les a scellées avec de la cire fondue pour former des ailes. Elle est venue chez moi pendant la nuit et est entrée dans la maison. Je ne sais toujours pas comment elle a su où je cachais le grimoire. Dans notre cour arrière, elle a réussi à lancer un sort en courant et en dansant. Je me souviens m’être réveillée et l’avoir vue parmi les nuages, sous la pâle lumière de la lune.
Plus nous montons là-haut, plus nous nous approchons des étoiles. Contrairement au soleil chaud, le ciel nocturne est éternel après avoir passé le voile bleu des cieux. C’est un hiver rude là-haut, sans neige, et nous étouffons. Elara s’est noyée dans sa désespérance de laisser l’humanité derrière. Nous l’avons retrouvée dans un champ, morte. Son corps était couvert de givre et sa peau avait une teinte bleue…
Nous ne saurons jamais quel effet domino l’a poussée à infliger sa douleur à quelqu’un d’autre. Sache ceci, Margareth, quoi qu’il arrive, quoi qu’il se soit passé ou se passe, tu n’as pas à être seule.