Dans ce dossier spécial consacré à la condition féminine, j’aimerais vous parler de Gabrielle Estella Beaudoin qui aurait eu cent-neuf ans cette année, si elle vivait encore.
Née en 1915, elle a évolué avec le mouvement féministe du Québec, inspirée par Marie Lacoste-Gérin-Lajoie et Caroline Dessaules-Béique, fondatrices en 1907 de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste. Ces femmes issues de la bourgeoisie voulaient améliorer la condition des ouvrières mais elles réalisent rapidement que la charité doit être soutenue par des changements qui s’obtiennent aux niveaux politique, social et juridique.
Le mouvement des suffragettes obtient le droit de vote au palier fédéral en mai 1918. L’implication de Marie Lacoste-Gérin-Lajoie, Caroline Dessaules-Béique, Idola Saint-Jean et Thérèse Casgrain contribue à obtenir au palier provincial, le 25 avril 1940 le droit de vote et l’éligibilité aux femmes.
C’est le début d’un temps nouveau!
Pour Gabrielle, qui rêvait de devenir écrivaine et pilote d’avion, toute cette effervescence la convainquait de demeurer célibataire et de s’impliquer en tant que féministe.
Mais l’amour avec un grand « A » l’a vite rattrapée! Eh oui, elle s’est mariée en 1939. Elle a cessé d’enseigner, s’est appelée du nom de son mari en se présentant désormais comme madame Éphrem Bourgault. Cette perte d’identité fut recouvrée en 1981 lors de la refonte du droit de la famille. Imaginez! Son mari était décédé depuis dix ans et elle portait encore son nom.
Après 1941, elle pouvait voter, à condition de voter comme son mari, mais elle m’a confié voter pour qui elle voulait.
En 1959, je devais être hospitalisé d’urgence. Mon père étant à son bureau à Québec et nous à Sherbrooke, il envoya une procuration au nom de ma mère. En effet, elle n’avait pas le droit de signer mon entrée à l’hôpital. Choquant, me direz-vous? Il y a bien pire puisque la procuration a été refusée par l’hôpital; ça devait être fait au nom d’un homme! C’est l’aîné de la famille qui a signé mon entrée alors qu’il était encore mineur.
Eh oui! Gabrielle et Éphrem étaient mes parents. Ils s’aimaient à la folie mais la condition des femmes a été source de grande souffrance puisque mon père se confortait dans son rôle patriarcal tandis que ma mère visait la reconnaissance de l’égalité entre l’homme et la femme.
Après le décès de mon père, alors que nous étions encore plusieurs enfants à la maison, c’est avec une performance des plus remarquables qu’elle a mené à bien notre éducation et comblé nos besoins. Certains hommes l’ont courtisée mais c’est avec noblesse qu’elle les envoyait « promener ».
Après un peu plus de cent ans, il reste encore beaucoup à faire. L’équité salariale, la parité homme-femme, la violence et les abus sexuels, les causes perdues en cour, et les féminicides sont des sujets encore trop présents en 2024.
Mais ensemble, hommes et femmes, nous parviendrons à plus de justice.